CHÈRES PUPILLES, MIRETTES, LENTILLES, ET AUTRES PAIRES DE LUNETTES,

Si les mots vous parlent un tant soit peu, que ce soit par conviction littéraire, par devoir professionnel ou par engouement stylistique, vous trouverez ici une myriade d'échantillons plus ou moins substantiels, laconiques ou étoffés, toujours digestes et bien tempérés, voués à alimenter votre bonheur de lire et / ou votre besoin de faire rédiger.

lundi 12 novembre 2012

TICKET AVEC CORRESPONDANCE.
"Amour" de Michaël Haneke














Mon bel « Amour »,

Je pensais d’abord changer de trottoir et éviter de te regarder en face, tant je te présupposais glacial, manigancé et insupportablement bourgeois. Et puis on m’a, par deux fois, encouragée à dépasser ma méprise de façade, et à oser me laisser surprendre, et pourquoi pas happer.
Alors je suis venue, intriguée. J’ai posé ma petite trentaine dans une salle envahie par les vieux, j’ai rajeuni la moyenne, et je les ai tous toisés avec mon air de ne pas y toucher. J’étais accompagnée de deux amis, et comme il y avait des géants et des gêneurs juste devant nous, on s’est écartés tous les trois de plusieurs fauteuils, pour recouvrer une vue bien dégagée (et se laisser la possibilité de s’émouvoir en toute discrétion).
J’ai patienté un peu dans ton grand hall d’entrée, je suis entrée dans ta chambre aux fenêtres ouvertes. Et bien sûr, je n’ai retenu ni larmes ni admiration.
J’ai pensé à éteindre mon portable pendant que tu m’accueillais en silence dans ta petite routine, pas franchement à bras ouverts, mais de ton cœur tout entier. Je me suis lovée dans un coin de ta cuisine, j’ai partagé tes haricots croquants et tes histoires de petits vieux qui ne radotent pas, et je me suis sentie bien - même si ta retraite mordorée nous ont franchement fait sourire, moi et mon petit RSA pourri de rédactrice payée comme une patate.
Quand le hasard et le flou sont venus te mordre, je me suis raidie en même temps que toi, et j’ai attendu que ça passe. Je t’ai tenu une compagnie indéfectible, si démunie soit-elle restée, et j’ai maudit le sort qui s’entêtait à te saccager.
Putain de leçon de savoir mourir… Putain de couple qui s’aime pour le meilleur et pour le pire jusqu’à ce que la mort le dépasse... Putain de réalisation virtuose. Putain de jeu à tue-tête, de présence à corps perdu. Bien assez (et absolument pas trop) pour me cueillir dans mon ignorance, pour me piquer dans ma naïveté.
Tout juste ce qu’il fallait pour m’agripper à ma jeunesse, à ma candeur et à ma vivacité, et m’en retourner pensive dans ma solitude de jeune célibataire en bonne santé, te vouant une admiration béante et une tendresse infinie.
Mon bel « Amour », tu es aussi cinglant que magnifique. Et où que tu te trouves, j’espère que tu t’y épanouis.




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